Shin shin toitsu ho à Ramatuelle. Do-in sur la presqu'île de Saint Tropez. Ishikitaido.
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Le Chevalier de Provence |
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VIII - LE MAS DE L'AMAREE (suite) « Sa première récompense est de faire un émule en la personne de Joseph d'Arbaud, autre vrai poète, qui rachète une manade pour y oublier un chagrin d'amour. Une grave affection pulmonaire l'arrache bientôt à cette retraite ; mais par la plume et l'uniforme des gardians qu'il ne quittera plus, il prendra rang désormais, à la droite de Folco de Baroncelli, sur le front de toutes les chevauchées de la bouvine. Un troisième patronyme aristocratique illustre alors, avec les leurs, l'armorial de la Camargue ; le Mas d'Icard, source d'une lignée de taureaux célèbres, a pour propriétaire un gentilhomme avignonnais, le comte de Laborde-Caumont. Mais sa renommée pâlit devant celle de sa fille, « la Demoiselle », comme on l'appelle - jeune amazone élevée parmi les gardians et dont la hardiesse les stupéfie. Deux d'entre eux cassent la croûte, un soir, dans une étroite clairière. Ciel limpide, pas un souffle, manade très loin de là, sous bonne garde - autant de raisons pour ne pas comprendre les bonds soudains des chevaux dans leurs entraves et le grondement qui déferle tout à coup sur eux, comme un grain du large. Avant qu'ils aient pu sauter sur leurs fusils, la trombe passe à fond de train. C'est un loup géant, poil hérissé et lacérant de ses crocs les lévriers qui lui mordent les cuisses. Mais un cheval le serre d'aussi près et la « Demoiselle », un pied de vigne au poing, lui assène des coups formidables sur la tête. Elle rentrera à Icard, en traînant avec son « seden » le cadavre du loup ! L'hiver suivant est un des plus horribles qui aient sévi en Camargue. Hécatombe de taureaux, pris dans les glaces des étangs. Toits arrachés, mas dévastés par une tempêtequi, sans relâche, revient à l'assaut. Il y a danger de mort sur la digue à la mer ; piétons ou cavaliers qui s'y risquent sont aussitôt précipités en bas. Le 21 janvier, cependant, tous les hommes valides à la ronde - gardes, douaniers, pêcheurs, les gardians d'Icard et ceux des Saintes avec Baroncelli, deux pères Prémontrés même - ont bravé, devant le phare de Beauduc, l'hallucinante débâcle de dunes et de gouffres que les rafales détruisent et reconstruisent, d'un instant à l'autre, sous un aspect nouveau. Comme la Russie quelques années auparavant, une balancelle désemparée par la tornade, l'Alix, s'est jetée dans cet enfer. Elle y gît, la proue en l'air et les mâts brisés. Tous les efforts pour s'en approcher en barque ou lui lancer des câbles ont échoué devant la furie des flots et cette agonie, qui dure depuis six jours, est d'autant plus atroce qu'elle se déroule tout près de la terre. On distingue, sur les débris du pont, les vingt-cinq marins ou passagers : des femmes entourant le capitaine, tête nue ; une vieille à genoux égrenant son chapelet ; un grand nègre devenu fou qui hurle. On les entend supplier ou maudire les témoins impuissants du drame. Une mère qui leur présente son enfant appelle sur eux la vengeance du ciel. Mais l'ouragant redouble. Les coups de bélier du Levant déchiquètent de plus belle l'épave. Paralysés, les sauveteurs accourus en renfort la voient peu à peu s'enliser. C'est la fin, maintenant. Sur le bord, un des pères blancs récite les dernières prières. Puis il se dresse sur une dune et donne l'absolution aux condamnés de l'Alix. |
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Un cri alors : « En selle ! » retentit, au moment où la quille se fend, et un cavalier se rue contre les murailles d'eau. Sans les gardians qui tous volent à son secours, c'en serait fini, cette fois, de la « Demoiselle ». Mais elle a répêché le mousse dans un tourbillon et le ramène sur l'encolure de son cheval ! Des autres, la tempête n'a rendu que la vieille, avec les jambes brisées, et, deux ans plus tard, les ossements du nègre, découverts dans un repli des sables. Mais tant d'intrépides folies de la « Demoiselle » lui ont gagné l'affection respectueuse de Baroncelli. Dernières bouffées de la Camargue, les visites qu'il lui rendra fidèlement à Avignon adouciront sa mort, survenue à la fleur de l'âge. Des revers de fortune avaient forcé ses parents à vendre Icard et la manade. Elle ne s'en remit jamais. IX - AU VENT DE LA STEPPE Les colères de la mer et le ronflement des vents sont l'invariable fond sonore des hivers à l'Amarée. Pliant les épaules, le marquis encapuchonné dans son burnous passe des semaines sans apercevoir une autre silhouette sur la steppe gorgée d'eau où les sabots de sa manade font de pâles trous de ciel. Pas âme qui vive non plus aux Saintes. Les pêcheurs, qui ne peuvent mettre leurs barques à flot, s'y terrent comme les Esquimaux dans leurs igloos. Dès cinq heures de l'après-midi, tout le bourg dort. Puis les ferrades reprennent avec les premières ensoleillées. A charge de revanche, les gardians des environs se rassemblent pour prêter main forte au marquis et les Saintins ne sont pas seuls à sortir de leurs trous. L'occasion d'une journée de Camargue, avec un déjeuner sur l'herbe, mobilise des villages entiers. Lourdes de provision, les charrettes paysannes qui arrivent à l'Amarée y sont dirigées vers un endroit choisi aux alentours et formées en demi-cercle, derrière un sillon tracé à la charrue. Là se massent les « aficionados », pour attendre les anoubles de pied ferme. On nomme ainsi les taureaux d'un an qui ne sont pas encore marqués. Au loin, les cavaliers les séparent un à un du troupeau et les amènent au galop. Ils ont jusqu'à la limite du sillon pour tenter de les abattre en les attaquant au trident dans l'épaule. Sinon, le bouvillon appartient à la horde, dévorée d'impatience, des piétons. Et c'est une belle mêlée, où il envoie bouler ses agresseurs dans tous les sens ! Mais le nombre à finalement raison de sa combativité. Les plus costauds l'empoignent par les cornes et vingt autres le poussent vers le brasero où chauffe la marque. A ceux qui ont des muscles, alors, d'en montrer, en le renversant et en le maîtrisant pendant qu'un bouvier lui imprime au fer rouge sur sa cuisse gauche l'insigne de sa manade. L'oreille aussi est entaillée, de façon à permettre à chaque propriétaire de reconnaître les siens. Puis on le « musèle », pour l'empêcher de têter sa mère, en lui introduisant dans le cartilage des narines une rondelle de bois qui tombera seule. Vient ainsi l'instant, entre tous réjouissant, du lâcher. » (J. Des Vallières, Folco… : Chevalier de Camargue p. 67-72) |
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